lundi 14 décembre 2015

Chers PPP ?

I)                    Contexte

a.       Les PPP

2017 verra l’ouverture de deux nouvelles Lignes à Grande Vitesse (LGV) en France, les LGV BPL et SEA, pour Bretagne Pays de la Loire (Le Mans-Rennes), et Sud-Europe Atlantique (Tours-Bordeaux). Ces deux lignes auront chacune un fonctionnement bien particulier et différent des autres LGV actuellement en exploitation. En effet, ces lignes ont été réalisées dans le cadre de PPP (Partenariats Public Privé). Ce dispositif permet d’associer des acteurs privés au financement des infrastructures, au bénéfice espéré notamment d’une réduction ou au moins d'un étalement dans le temps de l’investissement public, et d’une meilleure gestion par le privé (la notion de meilleure restant par ailleurs à apprécier selon l'échelle de chacun).
Ce dispositif n’est pas non plus exempt de défauts, et l’augmentation du coût d’usage visible en est notamment un. D’aucuns pourraient argumenter sur le fait que la hausse ne fasse que rendre apparent ce qui est autrement noyé ailleurs dans les méandres de la comptabilité publique, mais la hausse n'en est pas moins réelle comme nous allons le voir.
Dans tous les cas, SNCF Réseau est le propriétaire et l’exploitant de la ligne (les postes d’aiguillage sont gérés par SNCF Réseau).

b.       BPL

La LGV BPL prend la forme d’un contrat de partenariat sur 25 ans. Le consortium ERE, mené par Eiffage, ayant remporté l’appel d’offre à l’origine de la signature de ce contrat doit pendant cette période construire puis maintenir la ligne. Ainsi, c’est bien ERE (et plus précisément OPERE) qui doit démontrer à l’EPSF (Etablissement Public de Sécurité Ferroviaire) que la ligne est apte à être circulée à 320km/h et que les méthodes de maintenance utilisées permettent de le garantir sur la durée.
Le financement de cette ligne est au final intégralement public, mais l’intérêt est qu’ERE a pu (en empruntant et en injectant des fonds propres) avancer une partie du montant nécessaire au financement. Ces fonds seront ensuite intégralement remboursés (avec une rémunération du risque associé, c’est-à-dire une marge pour ERE) par des loyers versés pendant les 25 ans du contrat. Ils sont indépendants du niveau de trafic sur la ligne (bien qu’on puisse supposer qu’il existe des clauses particulières visant à couvrir des cas extrêmes peu probables).
A noter que la LGV CNM (Contournement Nîmes Montpellier) est également construite sur ce modèle, réalisée par un consortium mené par Bouygues.
Le contrat de partenariat est une forme nouvelle de PPP, mise en place en 2004, et dérogatoire par rapport au droit commun des contrats publics. Les PPP ne sont autorisés en principe qu'en cas d'urgence, définie par le Conseil d'État comme « la nécessité de rattraper un retard particulièrement grave, préjudiciable à l'intérêt général et affectant le bon fonctionnement du service public ». Par ailleurs, jusqu'en 2011-2012, les loyers devant être payés pendant plusieurs décennies n'étaient pas inscrits au bilan des collectivités locales et de l'État, permettant ainsi, par un artifice comptable, de ne pas faire apparaître dans le budget de lourdes charges financières.

c.       SEA

La LGV SEA prend la forme d’une concession pour 50 ans, remportée par LISEA, mené par Vinci. A la différence du montage précédent, une part du financement n’est pas publique ni garantie par un établissement public (environ 20%). De plus, le concessionnaire assume le risque trafic, c’est-à-dire qu’il est rémunéré directement par les péages des trains qui circulent sur la ligne. Ainsi dans l’absolu, si aucun train ne circulait sur la ligne, LISEA ne gagnerait rien du tout (on peut là aussi supposer qu’il existe des clauses couvrant ces cas extrêmes mais le principe est là).
Ce paramètre est fondamental, et explique en grande partie l’ampleur des débats actuels sur les dessertes sur la ligne dans les années à venir, car elles sont directement liées à la rémunération de LISEA.
LISEA en tant qu’entreprise privée ne bénéficie pas des mêmes conditions que SNCF Réseau par exemple pour emprunter de l’argent sur les marchés, et recherche également une rentabilité supérieure, à relier là aussi aux risques qu’elle assume qui sont supérieurs à ceux de SNCF Réseau (qui a globalement très peu de chance de faire faillite quel que soit son niveau d’endettement). Cela aboutit donc à un coût d’usage de l’infrastructure supérieur à celui des autres LGV, comme nous allons le voir dans la suite. C’est donc LISEA qui fixe les montants des péages pour la circulation sur "sa" ligne, selon des principes définis par la loi, intégrés tels quels par SNCF Réseau dans le DRR (Document de Référence du Réseau), et contrôlés par l’ARAFER (l’Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires et Routières).
Cette forme de PPP est ancienne puisque déjà sous l'Ancien Régime, des infrastructures telles que le Canal du Midi ont été réalisées sous cette forme.

Le graphique ci-dessous illustre les différences dans le financement des différentes LGV.

Répartition du financement sur 3 LGV récentes (LGV EE2 = prolongement de la LGV Est Européenne). A noter que pour la LGV BPL, environ 1/3 du montant total est avancé en préfinancement (Emprunt d'1Md€ et fonds propres de 129M€) de la participation publique par le consortium ERE, remboursé sous forme de loyer versé par SNCF Réseau


II)                  Les péages des nouvelles LGV

En préalable à cette analyse, on rappellera qu’un précédent article détaille les principes de la tarification des sillons sur le Réseau Ferré National, accessible ici. Réalisé début 2013, il ne tient forcément pas compte des dernières évolutions (quelques coefficients qui ont disparu, des valeurs qui ont évolué depuis, …) mais les principes qu’il décrit restent d’actualité. On pourra s’y rapporter notamment pour la définition des différentes redevances.

a.       La tarification à l’emport

Une nouveauté apportée par LISEA par rapport aux tarifs sur les autres LGV est le principe de la tarification à l’emport. Ainsi, le prix du péage, et plus précisément de la Redevance de Réservation, est modulé en fonction de la capacité du train (indépendamment du nombre réel de passagers transportés).
Le graphique ci-dessous illustre la valeur du coefficient de pondération en fonction du nombre de sièges.



A noter que le coefficient varie par paliers de 50 passagers (arrondi supérieur), mais qu’il n’est pas explicitement précisé dans le DRR si, et le cas échéant comment LISEA contrôlera les déclarations des Entreprises Ferroviaires (mesure du poids des trains ?).
On peut observer que ce principe de tarification avait initialement été proposé par RFF dans le DRR 2012 mais avait été retoqué par l’ARAF (à l’époque), qui le considérait comme incohérent avec l’objectif légal d’optimiser l’utilisation de la capacité de l’infrastructure. Il semblerait que sa position ait évolué sur ce sujet, bien que SNCF Réseau ne l'applique pas à ses tarifs.

b.       Comparaison des tarifs

La redevance de réservation est calculée selon ce principe :
RR=Redevance de réservation = C1*C2*Cemport*PKR*longueur

PKR est le montant unitaire de la RR, et prend les valeurs indiquées dans le graphique ci-dessous pour quelques exemples.


Cemport est la modulation évoquée au paragraphe précédent, il vaut donc 1 en dehors de la LGV SEA.

C1= Période d’utilisation du sillon : ce coefficient et les périodes considérées comme creuses, normales, intermédiaires, et pleines sont identiques pour toutes les LGV, et vaut notamment 1.5 en période de pointe, soit entre 7h et 9h et entre 17h et 19h.

C2 = Modulation pour les TGV radiaux/intersecteurs :


TGV radial
TGV intersecteur
LGV SEA
1.05
0.84
Autres LGV
1.10
0.68

Cependant, la définition d’un TGV radial est différente entre LISEA et SNCF Réseau : pour SNCF Réseau, un TGV radial est un TGV dont la gare d’origine ou de destination est une gare parisienne, alors que pour LISEA, un TGV radial est un TGV dont la gare d’origine ou de destination est située en Ile de France, y compris donc Marne la Vallée et Massy.
Ainsi, un Ouigo au départ de Marne la Vallée pour Lyon est considéré comme un intersecteur, alors qu’un Ouigo au départ de Massy pour Bordeaux sera considéré comme un TGV radial.

RC = Redevance de circulation = PKC*longueur


Type de trafic
PKC (€/km)
LGV SEA
Trafic fort
6.216
Trafic moyen
4.977
Autres LGV
Tous trafics
4.453

RCE = Redevance pour l’usage des installations de traction électrique = PU*longueur


RCE (€/km)
LGV SEA
0.347
Autres LGV
0.226

c.       Cas d’application

Dans cette partie, on va comparer le coût d’un sillon sur les LGV SEA, BPL et Sud-Est, avec 4 configurations différentes : Ouigo UM (unité multiple, 2 rames Duplex, 1268 places), TGV Duplex UM (1090 places), TGV Duplex US (Unité Simple, 545 places), TGV Réseau US (400 places).
On considéra un sillon en heure de pointe, pour un TGV radial (sauf pour les Ouigo qu'on considérera radiaux, sauf sur SEA conformément à la remarque ci-dessus).

Les sections considérées sont détaillées dans les 3 tableaux ci-dessous :

Sections SEA

Sections BPL

Sections Sud-Est

Les calculs de péages donnent alors les résultats suivants :


Les graphiques ci-dessous imagent ces résultats :




On observe donc que les prix des sillons sur la LGV SEA sont particulièrement élevés dans le cas de TGV fortement capacitaires. Le problème est particulièrement criant sur les Ouigo notamment du fait de la différence d'appréciation entre TGV radiaux et intersecteurs. On observe ainsi un surcoût de 141% par passager.km pour un Ouigo sur la LGV SEA comparé à la LGV SE !

A l'inverse, pour les TGV Réseau en US, la LGV SEA sera moins chère de 15% par passager.km. Cependant, on notera que ce type de circulation est en voie de disparition sur le réseau du fait de la stratégie de massification de SNCF visant à maximiser le nombre de personnes transportées par un train (rames de plus en plus capacitaires et augmentation du taux de circulation en unités multiples).
Pour la plupart des trains, le prix du sillon sur la LGV SEA sera donc très largement supérieur à celui de la LGV SE.

La LGV BPL quant à elle présente des tarifs qui sont d'environ 15% inférieurs à ceux de la LGV SE.

Néanmoins, dans un cas comme dans l'autre, le trafic attendu n'est pas du tout comparable à celui de la LGV SE qui voit circuler un nombre beaucoup plus important de TGV. S'il parait donc explicable d'augmenter les tarifs là où la demande est la plus forte, le montant des tarifs sur la LGV SEA, d'autant plus à l'ouverture de cette nouvelle ligne, peut interpeller et explique au moins en partie les réticences de SNCF Mobilités à faire circuler un trop grand nombre de TGV.


Sources :